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Santé au travail : les promesses de l’IA

ChatGPT… En quelques semaines, les tricheries d’étudiants aux examens ont fait prendre conscience au grand public des promesses et des écueils de l’intelligence artificielle (IA).
Dans le domaine de la santé au travail, l’IA fait aussi sa percée. Utile ou futile?

L’entreprise revendique déjà 11000 téléchargements depuis le lancement de son application il y a deux ans. LEA porte une promesse forte: analyser les postures du corps et définir s’il y a besoin de corrections. Au salon Preventica 2021, où l’outil a été présenté en avant-première, beaucoup de professionnels se sont montrés intéressés (*).


À l’origine, ErgoSanté, qui est installée dans les
Cévennes, propose des aménagements de postes et fabrique des sièges ergonomiques ainsi que des exosquelettes. Cette démarche de maintien dans l’emploi a trouvé un allié dans l’intelligence
artificielle. Avec LEA, il suffit de filmer le salarié et un algorithme analyse la vidéo, calcule les angulations du corps (tronc, épaule, coude, nuque, etc.) puis les compare à la méthode de référence, RULA. « Le résultat, sous forme de scores, est quasi instantané. Il est basé de manière objective, sur des valeurs, un peu comme un thermomètre. Par ailleurs, notre méthode n’est pas invasive et il n’y a pas de capteur sur le salarié », précise Bérenger Le Tellier, responsable scientifique chez ErgoSanté.« Ensuite, c’est à l’ergonome ou au médecin de faire des préconisations d’adaptation. »
L’intelligence artificielle entre ainsi de plus en plus dans nos vies professionnelles; des entreprises
adoptent des systèmes de gestion des travailleurs
fondée sur l’IA pour accroître leur efficacité, leur productivité ou pour recenser les risques.

Yann Ferguson analyse cette percée depuis plus de 20 ans. Ce spécialiste reconnu de l’IA, chercheur à l’école d’ingénieurs de l’ICAM de Toulouse et directeur scientifique du LaborIA (programme du Ministère du Travail et de l’Inria), a répertorié plusieurs domaines d’intervention: « Le plus connu est quand la machine prend en charge des tâches dangereuses, rébarbatives ou dégradantes. C’est un mécanisme délégatif », explique le sociologue.

LIBÉRER DU TEMPS

« Il y aussi les formes d’augmentation quand l’IA fait, par exemple, de la prédiction de collision entre un engin de chantier et un piéton; elle vient alors pallier l’insuffisance humaine. Troisième possibilité : la rationalisation et la généralisation des bonnes pratiques et des performances (cas de LEA).
Et enfin il y a la forme coopérative qui aboutit à une
performance inédite, entre l’homme et la machine,
où l’un sans l’autre ne fonctionne pas ».
Padoa s’est positionné sur le domaine le plus répandu: l’aide dans les tâches administratives pour
les Services de Prévention et de Santé au Travail
(SPST), comme l’envoi de convocation, les relances
ou encore la saisie de données afin que les experts
se focalisent sur la prévention en entreprise.

L’AIPALS a choisi de basculer sur cette plateforme
technologique innovante dès 2022. « De nombreuses fonctionnalités sont intuitives ou automatisées », assure Arthur Lucchino, responsable des outils statistiques au sein de la société PADOA. « La réalisation du document unique se trouve aussi largement facilitée.
Du temps médical, de prévention et de qualité de
suivi est ainsi dégagé. » Mais l’application web
permet également de récolter de la donnée en vue
d’enquêtes épidémiologiques, une attente forte
des services de santé au travail.

” L’intelligence artificielle, c’est très
mathématique alors que la santé
au travail est un sujet sensible. “

— Yann Ferguson

UN USAGE EN QUESTION

Un groupe de travail prospectif, animé par l’INRS, s’est récemment penché sur toutes ces opportunités. Objectif: réfléchir à comment des systèmes mobilisant de l’IA pourraient être utilisés à des fins d’amélioration de la santé et de la sécurité au travail à l’horizon 2035. Le résultat de cette réflexion est publié sur le site de l’INRS.

Ces experts soulignent aussi des points de vigilance
pour une bonne utilisation. « L’usage de l’IA en SPST
pose aussi la question des outils de surveillance des travailleurs et d’alerte lorsque les conditions d’un travail en sécurité ne sont pas remplies.
Cette surveillance permanente peut générer des risques psychosociaux et conduire à une responsabilisation exclusive du travailleur au détriment de la mise en place par l’employeur de mesures de prévention collectives », préviennent-ils. Une vision partagée par Yann Ferguson qui insiste: « L’intelligence artificielle, c’est très mathématique alors que la santé au travail est un sujet sensible et subjectif. L’IA est un moyen de créer une vision du problème à traiter. En aucun cas, elle apporte la solution, contrairement à ce que peuvent dire certains de ses promoteurs. »

Avant tout usage, il est recommandé au chef
d’entreprise et au préventeur de se poser certaines
questions: quelles données vont être collectées et
pour quelles exploitations? Comment garantir le
respect de la protection des données? Comment
l’IA est perçue par les salariés? Quel impact son
utilisation peut-elle avoir sur la reconnaissance du
travailleur? En effet, le travail (et la performance
au travail) peut faire partie de l’identité du salarié.
Or, l’intelligence artificielle peut enlever certaines
fonctions qui donnaient un sens au travailleur et à
ses efforts. Si un déplacement de valeur s’opère,
un diagnostic des compétences est fortement
recommandé.

(*) LEA est désormais disponible sur Google Play et App Store.