Passé le choc du Covid-19, la « machine » économique redémarre. Plus que jamais se posent des questions humaines et organisationnelles : comment travailler avec ce nouveau risque ?
Ils ont été sur le front dès le 17 mars, le premier jour du confinement total. Les médecins Florence Rocci et Nicolas Teulade faisaient partie de la cellule de crise de l’AIPALS, répondant aux nombreuses sollicitations des chefs d’entreprise. «Nous avons pu observer leur capacité de résilience : très vite, ils ont reconstruit une nouvelle organisation. Ils ont montré une réelle adaptation à la crise », insiste le Dr Nicolas Teulade, médecin du travail. « Pour réussir la reprise partielle ou totale de l’activité, il y a un élément clé : la confiance entre l’employeur et les salariés. Ce déconfinement doit être source de soulagement et non d’inquiétude ou de défiance. »
Reste que cette situation inédite et inconnue fait se bousculer de nombreuses questions : Comment faire revenir ses salariés en activité ? Comment les accompagner de l’inactivité vers le travail, dans un contexte encore bien éloigné de ce qu’ils ont connu « avant » ? Comment envisager la protection de la santé des effectifs, que ce soit en présentiel ou en télétravail ?
« Le risque infectieux n’est désormais plus réservé à certains secteurs, comme les hopitaux ou les maisons de retraite par exemple. chacun va devoir “penser virus” pendant plusieurs mois »
Dr Florence ROCCI
La levée du confinement appelle à une stratégie de prévention au sein de l’entreprise. Le risque, prévient le Dr Florence Rocci, serait un relâchement et une baisse progressive de la vigilance. «La tentation pourrait être de repartir, tête baissée dans le guidon, pour relancer le chiffre d’affaires, de mettre les bouchées doubles pour compenser les pertes et donc de se concentrer plus sur l’activité que sur l’humain. Or, il va falloir « penser virus » pendant plusieurs mois car la crise pourrait se reproduire», explique le docteur avant d’insister : «Le risque infectieux n’est désormais plus réservé à certains secteurs, comme les hôpitaux ou les maisons de retraite par exemple. Les chefs d’entreprise doivent intégrer le fait qu’il existe maintenant un risque biologique non pas seulement lié à l’activité de travail, mais un risque sociétal qui peut impacter le travail…»
Désigner un « référent Covid-19 »
Une réelle culture de la prévention doit être mise en place avec des gestes qui doivent devenir automatiques. Afin d’aider les entreprises, l’ensemble des 15 médecins du travail de l’AIPALS ont élaboré un document de préconisations et de mesures à prendre.
La première d’entre elles est d’identifier les situations à risque et les salariés vulnérables. Il n’est évidemment pas question pour un service de santé au travail de transmettre une liste, eu égard au respect du secret médical. En revanche, les chefs d’entreprise peuvent informer leurs salariés de la liste des pathologies à risque (maladies cardiovasculaires, hypertension, diabètes, cancer, obésité,…) et les inviter à se rapprocher de leur médecin traitant.
« Les deux clés de la réussite de la reprise sont la confiance employeur-employé et la communication »
Dr Nicolas TEULADE
Pour mettre en place une nouvelle organisation, le Dr Nicolas Teulade conseille aux entreprises de créer en leur sein un groupe de travail « spécial Covid19 » et de désigner un référent. «Le but est de réaliser une veille documentaire et réglementaire, d’avoir une bonne vision de ce qui se passe, de coordonner les mesures et de communiquer. C’est l’une des autres clés de la réussite du déconfinement avec la confiance : la communication. Les deux vont même de pair», insiste le médecin du travail. « Le chef d’entreprise doit dire ce qui est décidé et mis en place, mais il doit aussi être à l’écoute des remontées du terrain. Je recommande la mise en place d’un petit quart d’heure « flash info » tous les matins avant de commencer la journée de travail et d’avoir une liste de diffusion par mail, spécifique à ce sujet. »
Les salariés doivent pouvoir avoir confiance dans leur environnement de travail.
Dans l’état actuel de l’épidémie, les mesures barrières, en particulier le lavage régulier des mains à l’eau et au savon ainsi que la distanciation des individus (au moins un mètre), restent la meilleure prévention. Le port du masque est fortement recommandé.
Cette nouvelle « culture du quotidien de travail » passe, par exemple, par la démarcation des espaces de travail, l’espacement des postes, l’interdiction d’utiliser le même matériel (et sinon désinfection systématique), la régulation stricte de l’accès aux distributeurs de boissons et encas, de nouvelles modalités de prise de repas, la mise à disposition de sprays désinfectants et de lingettes, l’intensification de l’entretien, ou encore l’aération des locaux.
Une nouvelle culture
Comme préconisé par le gouvernement, chaque fois que cela est possible, le télétravail doit être poursuivi.
Une récente étude d’Opinion Way a révélé que ce travail à la maison était source de « détresse psychologique » pour près de la moitié des salariés (44%), avec le sentiment d’être sollicité plus que jamais. « Là, comme ailleurs, des règles s’imposent, sinon le risque est le dépassement des horaires et l’empiètement sur la vie privée», réagit Evelyne Cance, la responsable du pôle technique de l’AIPALS (qui coordonne ergonomes, psychologues, assistantes sociales, assistantes santé et sécurité au travail, etc.).
« Il existe des outils numériques simples qui permettent de dire quand nous sommes disponibles, en réunion, ou à ne pas déranger. » Car le risque sanitaire du Covid-19 peut avoir pour corollaire l’apparition de risques psycho-sociaux liés à la perte de repères : anxiété, stress, désocialisation, perte de sens… Dans l’idéal, repenser l’organisation devrait, à long terme, faire émerger un nouveau projet d’entreprise qui facilite l’initiative, la coopération, le dialogue social, afin que chacun puisse se reconnaître dans ce qu’il fait et en être fier.
60 milliards d’euros
Ce sont les pertes dues chaque mois au confinement.
18%
c’est la chute de la consommation des ménages.
Le chômage partiel a bénéficié au plus fort de la crise de 11,3 millions de salariés, un chiffre considérable qui représente près de la moitié des salariés en France.
40% des Français
ont adopté le télétravail pendant la période de confinement.